Le chemin
des passes dangereuses

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Texte de Michel Marc Bouchard
Mise en scène de Yann Lesvenan
Compagnie Les Bourgeois de Kiev

création 2016

création du spectacle
le 8 mai 2016 à Avignon
Théâtre des Halles
festival Émergence(s)

texte
Michel Marc Bouchard

mise en scène
Yann Lesvenan

collaboration artistique
Thomas Le Gloannec

avec
Thomas Billaudelle
David Scattolin
Antoine Suarez-Pazos

création lumière
Emmanuel Bordier

création sonore
Antoine Prost

régie son
Alexandre Laillé

durée du spectacle : 1H15

DRAME FORESTIER
HUIT-CLOS QUÉBÉCOIS
THRILLER FAMILIAL
CÉRÉMONIE DES AVEUX

Carl, Ambroise, Victor. Trois frères qui partent pour une virée, sur un coup de tête, vers le camp de pêche du plus vieux. On est près d’Alma, au Québec, la rivière Saguenay prend sa source dans le grand lac Saint Jean. Aujourd’hui, Carl se marie. Le camion de Victor dérape dans la courbe, évitant un oiseau. Là, près du chemin des passes dangereuses, l’accident vient d’avoir lieu.

Ça commence par un son de camion qui dérape et qui fait de nombreux tonneaux et ça termine par un son de camion qui dérape violemment. Une boucle, une spirale qui contient tout le déroulement de la pièce.

Quinze ans plus tôt, jour pour jour, tout près du même endroit, les trois frères avaient provoqué la noyade de leur père.

Réunis dans les limbes par l’accident, quelque part entre la vie et la mort, il va falloir parler. Ouvrir la bouche. Car cet accident est comme le sillon du vieux vinyle rayé sur la platine.

Les mots, c’est le père disparu. C’était un poète, un marginal, un Diogène, un artiste maudit, peut être un raté. Parler c’est déjà le faire revivre. Que faire de sa poésie ? Où sont passés les mots du père ? A travers les souvenirs recomposés, chacun des frères va révéler les chemins empruntés pour échapper à la figure tutélaire. Il rôde. Ses poèmes tournent dans les têtes.

La répétition est la quête d’une première impression, perdue à jamais.(dixit Lacan).

LA MISE EN SCÈNE

3 acteurs sont au plateau. 4 tapis de danse blancs sont disposés au sol, remontant en perspective au lointain et accrochés aux cintres. Ils dessinent une sorte de chemin. Au fond, un rai de lumière apparaît et disparaît. De la terre est déposée progressivement au cours de la représentation jusqu’à former des circonvolutions. Les éclairages changent de manière presque imperceptible.

Carl, Ambroise, Victor évoluent pieds nus dans un espace chaotique qui est loin du simple réalisme. Pas de camion, pas de route. Pas de sang. J’essaie de faire entrer le spectateur dans l’espace mental du dire. En assistant à certains spectacles de Claude Regy, on peut constater toute la place qu’il laisse au mystère et au déploiement de la parole, qui seule a le pouvoir de créer des images. On navigue en eaux troubles. Les acteurs sont les vecteurs essentiels de cette parole. Le corps est porteur de signes, de failles, socle premier des souvenirs et des impressions. Partant de l’intime, ils établissent une écoute qui est d’abord celle de leurs propres sensations, de leur souffle encore traumatisé par le choc de l’accident, de leur conscience troublée. Leurs présences sont fragiles et poreuses.

Je cherche à attirer l’oeil et l’oreille plutôt qu’à assommer le spectateur. Faire de lui un partenaire actif. Des espaces d’improvisation sont laissés, de manière ponctuelle. Autant de moyens pour se rattacher toujours au présent et au vivant. Je veux faire entendre ce rythme, la respiration de cette écriture musicale. Un jeu épuré et simple, au service de la fable. Développer des rapports sensibles, sensoriels, charnels entre les acteurs afin de rendre compte au plus fin du lien fraternel qui existe entre les personnages. Du concret au poétique, de la confession à l’insulte, de la parole qui passe le temps à celle qui veut faire mal, être sans cesse en présence à ce qui se dit, à ce qui se passe. Créer une vibration, une porosité réelle entre acteurs et spectateurs.

Yann Lesvenan

YANN LESVENAN

Après trois années d’expériences multiples suite à sa sortie de l’Ecole du Nord en 2012, il saute le pas de la mise en scène avec le Chemin des passes dangereuses. Comédien de formation, il a travaillé sous la direction de Stuart Seide, Stéphanie Loïk, Laurent Hatat, Julien Gosselin, Renaud Triffaut. Il a participé à plusieurs festivals de jeune création en tant qu’acteur (festival Prémices au Théâtre du Nord en 2013, festival de Villeréal en 2015) sur des projets d’adaptation comme d’écriture collective. Son expérience d’assistanat à la mise en scène au côté de Julien Gosselin sur les Particules Élémentaires au festival d’Avignon 2013 à été déterminante dans son désir de mise en scène.

ÉMERGENCE, COLLISION, CERCLE

Le monde que nous avons sous les yeux est un monde où les signes du réel remplacent le réel. Tout se convulse, se recourbe, l’espace-temps se recoupe en des impressions. Les trois personnages, enfermés, sont entraînés dans un mouvement circulaire, répétitif, régressif et hallucinatoire : l’espace du souvenir. Ce qu’il m’intéresse de questionner, c’est le trauma. Dans cette sphère intime qui est celle de la fratrie, ce qu’on a aboli au dedans revient au dehors. Les symptômes refont surface.
L’accident bien réel laisse vite place au pressentiment que les douleurs sont plus anciennes. Dès lors, un champ s’ouvre sur l’inconscient et le passé. Le télescopage entre cette situation des plus réalistes et l’abstraction du souvenir, qui devient mémoire active, donne au drame une intensité incroyable. Car nous sommes dans une situation d’urgence d’où il faut sortir. Le temps est court, mais dilaté. Carl, Ambroise et Victor voyagent entre mort et conscience.
Le focus est fait sur la famille. Par cette fable, je veux mettre sur le plateau toutes ces tentatives de l’amour qui ne veut pas baisser les bras. Parler des frères, des soeurs, des parents, des non-dits, de cette cellule familiale, oeil du cyclone des trajectoires futures.

Ou la parole ou la mort, disait Freud. En se voilant la face, on se laisse passiver, annihiler. Mais ça travaille sourdement. Le refoulé revient malgré la tentative d’évitement. Seule la parole -dont il convient de peser la responsabilité - pourrait sauver de la pulsion répétitive.
Ce qui me touche, c’est la force avec laquelle chacun des personnages rentre en collision avec son enfance. Chacun se voit obligé d’assumer les choix qui l’en ont éloigné ou au contraire qui l’y ont enseveli. Ce porte-à-faux est souvent déchirant, mais paradoxalement il est à l’origine des moments les plus lumineux. Le choc de l’accident est aussi celui de l’enfance que l’on reprend en pleine figure. Autres thèmes qu’il faut considérer, ceux de la honte sociale et de l’homosexualité. Comme Didier Eribon a pu en rendre compte dans Retour à Reims, le personnage de Carl est au coeur d’un dilemme qui devient encore plus aigu par la mise en présence de ses frères et des lieux de son enfance.
Si l’on plonge dans tous les méandres de l’inconscient, ce n’est pas pour autant que la légèreté disparaît. Au contraire, elle crée les nécessaires contre-points de cette fugue, ou fuite en avant. Tout à coup, on éclate de rire. On fait des blagues. On se prend dans les bras. On crie. On se frappe. On rie à nouveau. On cherche à comprendre.

UNE PIÈCE, UN AUTEUR, UNE LANGUE

Michel Marc Bouchard écrit ce texte à la fin des années 90. Auteur québécois contemporain, il compose ici un drame qui aurait à priori tout de réaliste. Voire cinématographique. En tout, il a écrit plus de 25 pièces, jouées partout à travers le monde. Sa pièce Tom à la ferme à été adaptée au cinéma par Xavier Dolan. Il est considéré au Québec comme un des plus grands auteurs contemporains. Et pourtant en France son écriture en apparence accessible semble ne pas obtenir, à mon sens, un écho suffisant. Loin d’une écriture purement expérimentale, c’est l’apparente efficacité de la fable qu’il m’intéresse de questionner. Il y a dans l’écriture de Bouchard un goût du suspens et de la narration qui le rapproche de la dramaturgie anglo-saxonne contemporaine. Mais aussi une fraîcheur et une sauvagerie propre au Québec, un questionnement sur l’incommunicabilité qui le lie à Tchekhov, une folie absurde qui rappelle Beckett. Et comme chez Genet, la scène devient un lieu de symboles et de codes. Aussi, il y a la langue. Pour nous, français du vieux continent, cette langue est à la fois celle du nouveau monde et de l’ancien. À la fois pétrie de mots américains et d’un français disparu ou en mouvement, elle raconte le monde et les sentiments à travers des images inédites. Elle recèle en son sein une dimension poétique qui se révèle au plateau à la fois puissante et archaïque, nous faisant rapidement dépasser l’exotisme ou la nostalgie.

l'équipe

Trois comédiens forment le bloc initial du projet : Antoine Suarez-Pazos, David Scattolin, Thomas Billaudelle. Antoine et David sont issus de la même promotion de l’Ecole du Nord (Lille), sortis en 2012. Thomas est issu du conservatoire du grand Avignon et a travaillé comme comédien-compagnon au Centre Dramatique de L’Océan Indien.

Implantée à Lille depuis 2013, autour de la création d’un duo de clown, au Prato : L’heure du ZugZwang, ce n’est ni fait ni à faire, la compagnie élabore un théâtre qui explore la danse, les textes d’auteurs contemporains et classiques, l’improvisation ou le clown. Les différentes créations recherchent la plus grande porosité et qualité de présence au public.

Emmanuel Bordier est le créateur lumière. En tant que comédien, il a travaillé sur le Chemin des passes dangereuses lors de sa formation au conservatoire de Lille, au côté de Vincent Goethals qui avait crée la pièce en 1999. Thomas Le Gloannec est assistant à la mise en scène, il est le co-fondateur avec Antoine Suarez-Pazos de la compagnie Les Bourgeois de Kiev qui porte le projet.

Le spectacle a été créé le 8 mai 2016 au Théâtre des Halles à Avignon, dans le cadre du festival Emergence(s), avant une tournée sur la saison 2016-2017.

Il a déjà fait l’objet de plusieurs étapes de travail, de lecture et de mises en espace, au Théâtre du Garage à Roubaix, au Théâtre Massenet à Lille et au Pôle Culturel de Sedan.

Ce spectacle est accompagné par le Théâtre du Garage, compagnie de l’Oiseau-Mouche à Roubaix, la MJC Calonne de Sedan, le théâtre des Tisserands à Lomme.

Texte de Michel-Marc Bouchard (Éditions Théâtrales)